La mort nous va si mal....

Publié le par Mapy


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Heidegger m'a appris que tu es sans cesse là comme possibilité. L’Homme demeure effectivement « un être pour la mort ». Il meurt tous les jours. Il est étrange que tu sois en moi, que tu participes dès à présent à ce que je suis. Tu ne me trouveras pas au bord de la route, je t’appartiens déjà.

Les Bouddhistes le savent quand ils invitent à prendre conscience que toute existence est mortelle. Oui, nous recevons les deux en même temps. Qui engendre un enfant te prodigue. Montaigne le dit fort bien : «  Mais tu ne meurs pas de ce que tu es malade, tu meurs de ce que tu es vivant. La mort te tue bien sans le secours de la maladie. ». Qu’il est ardu d’admettre cette banalité. ? Pourquoi ai-je l’impression d’arracher les joies et les plaisirs éphémères à tes griffes si le combat est perdu d’avance ? Hier au soir j’ai partagé un repas avec des proches. Goûtant les mille dons de l’amitié, je ressentais une profonde allégresse. […]Lorsque je me suis couché, j’ai songé que je ne vivrais plus ce moment de grâce. Tu me l’avais déjà ravi. Même si je réinvitais mes amis pour tenter de reconstruire la fête à l’identique, je ne réinventerais pas cette soirée. La rencontre de la veille est morte, elle appartient au souvenir, au passé. Et je ne quitte pas la finitude. Jamais je ne pourrai revivre les heures passées, jamais.

Chaque jour je laisse derrière moi un peu de ma vie, l’homme de la semaine dernière n’est plus. Bien sûr ma mémoire conserve mon identité et ma personnalité demeure, mais à chaque instant je meurs à quelque chose, je meurs à un état, pour devenir quelqu’un d’autre. Changer c’est mourir, perdre et trouver. Naturellement mes fantasmes voudraient figer la réalité, enfermer le bonheur, le soustraire à ton emprise. Mais ton intransigeance m’oblige, pour ne plus passer à côté de l’essentiel, à oser un état d’esprit qui sache composer avec toi. […] Lorsque j’obverse autour de moi, je note que la comédie humaine, la philosophie, les Hommes dessinent toutes sortes de postures pour essayer de se faire à l’idée.

Je relève le divertissement pascalien qui plonge les mortels dans l’activité, les distractions, la fuite. Tout est bon pour abasourdir le plus petit signe de ta présence. Que ne ferions nous pas pour amasser le plus de plaisirs possibles ? Le douloureux face-à-face avec la finitude, la crainte de périr, portent à vivre sur le mode de la consommation. Maudite, tu nous pousse à multiplier les moments exaltants, à exploiter avec frénésie le temps qui nous est imparti pour ne pas en perdre la moindre miette. Tu vas rire ! J’ai assisté avec un léger dépit à l’ouverture des soldes. Les consommateurs se précipitaient dans la quête de leur bonheur.  […] Je t’imagine ricanant devant semblable spectacle. Vraiment tu dois te régaler de voir des mortels dilapider un bout de vie. En prétendant nous enrichir, nous passons à côté de l’existence. […] En amassant nous croyons nous comporter en  immortels, comme s’il s’agissait de faire des provisions pour plus tard. Pour ce plus tard je suis souvent mort à ce que, dans sa sobriété, me donne le réel. La crainte de la mort m’arrache déjà un peu à la vie. Je refuse que tu me dépouilles trop vite. Aussi, j’essaie désormais de ne plus me disperser, de cesser de constituer des réserves, pour être vivant ici et maintenant. […]

L’exercice de mourir peut, à mon sens, conduire à célébrer la vie : il m’arrive des après-midi entières de me mettre au lit, paisiblement sous la couette. Je meurs et quitte peu à peu mes ambitions, mes rêves. Je me dépouille pour un temps des attentes irréalisables, des regrets et des projets fous. Je ressens qu’un jour je ne serai plus et que le monde n’a pas besoin de moi. Je me libère des exigences pour essayer de prendre ma juste place dans l’existence. Sur le lit, je m’entraîne à la mort. Rien de macabre ici ! Je m’octroie juste une trêve pour me rappeler que je ne suis pas immortel. J’imagine alors mes enfants, ma femme, mes amis continuer leur chemin sans moi. […] La libération que tu accompliras de manière définitive, je peux l’opérer dès à présent pour, par amour de la vie, mourir à tout ce qui n’est pas essentiel.

 

                               Alexandre JOLLIEN « la construction de soi »

« Ce livre se veut une tentative de tourner la page… J’en ai marre de ressasser mon histoire qui débute par un satané cordon ombilical et qui se poursuit par dix-sept ans d’internat dans un centre spécialisé….. Si le handicap fut une porte ouverte à une réflexion, je souhaite désormais, sans le nier, la franchir, aller plus loin. […]

Alexandre JOLLIEN envisage la philosophie comme une thérapeutique de l’âme. Il met en pratique quotidiennement cette philosophie. Des séquelles consécutives à son accident de naissance, il tire une force vitale extraordinaire. C’est une véritable leçon de vie qu’il nous transmet au fil d’un court récit  Le métier d’Homme »

Publié dans divers

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M
Ca y est je l'ai lu et en fait il est assez inégal et l'extraitque tu as publié est le meilleur.En revanche l'auteurdonne un texte de Schoepenhauer d'une misogynieinimaginable que je ne connaissais pas,déjà que j'avaispeu d'affinités avec ce "philosophe".Bises.
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M
Ca y est je l'ai lu et en fait il est assez inégal et l'extraitque tu as publié est le meilleur.En revanche l'auteurdonne un texte de Schoepenhauer d'une misogynieinimaginable que je ne connaissais pas,déjà que j'avaispeu d'affinités avec ce "philosophe".Bises.
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M
bonjour!je viens de le trouver à la bibliothèque et je l'ai pris.Il me tarde de le lire.Je te tiendrai au courant.Bonne soirée!
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M
bonjour!je viens de le trouver à la bibliothèque et je l'ai pris.Il me tarde de le lire.Je te tiendrai au courant.Bonne soirée!
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K
tout est juste et joliment dit.C'est bien que tu ne sois pas passé à côté de cette rareté.Amitiés.
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